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Archeologia.be - L'Abécédaire de l'Archéologie
Actualité de l'archéologie et du patrimoine culturel

"Qu'est-ce qu'un objet archéologique? Essai de définition"

Pierre-Emmanuel LENFANT (Archeologia.be, 1er avril 2006)

L'objet archéologique a de tout temps été traité comme révélateur d'informations parfois intrigantes, mais depuis longtemps scientifiques. Des 'céraunies' (pierres de foudre) aux haches néolithiques, il a longuement inspiré les hommes par ses vertus d'objet singulier. Mais l'objet archéologique ne représente plus la crainte de nos contemporains. Il est l'expression même d'un esprit dépassant le cadre strict de sa matérialité.

Pour comprendre le sens de l'objet archéologique, interrogeons-nous sur le sens à lui donner.

Une première définition peut être posée. L’objet archéologique recouvre trois ordres de fait :  une genèse, un vécu et un lieu, et ce, dans le cadre d'une double approche (matérielle et  intellectuelle). L'objet archéologique devient dès lors que l'on substitue ou que l'on ajoute à sa valeur d'usage un intérêt scientifique (Rapport Papinot, 1998
). Mais se doit-il nécessairement d'être exhumé ? L'archéologie du passé récent pose une réflexion épistémologique intéressante sur le devenir de l'objet.

Saxa Loquuntur ! 
les pierres parlent!


Comment connaître sa capacité à signifier? Pour que l’objet archéologique devienne objet de science, il doit cesser d’être objet de plaisir, de désir, de rêve, d’amour (Demoule, "Les pierres et les mots : Freud et les archéologues
").

Une science revendiquée

L’émotion viendra plus tard, dans l’intimité d’un musée et la contemplation du sourire archaïque d’un visage de pierre, sauvés par des archéologues obstinés auxquels le législateur donne enfin quelques moyens d’agir (P.L. Frier, 2004).

Un objet de médiation

La particularité d’une exposition archéologique est de mêler intimement les objets et le savoir ; elle se situe ainsi à  l’articulation de l’exposition de l’art et de l’exposition documentaire, avec toutes les variantes possibles de l’une à l’autre (Davallon, 1999).

L'objet réapproprié

*  *  *  *

Pierre-Emmanuel LENFANT - Fouilles archéologiques - Îles d'Ouessant

L’objet archéologique se conjugue à plusieurs temps.

Le temps où il est supposé : il fait l’objet d’une enquête. On interroge. On étudie. On le cherche. Le temps de sa naissance : fortuite ou à l’occasion d’une fouille. Le temps de son étude : un chercheur vient à son chevet et l’interroge sur son passé. Enfin, le temps de sa conservation : consécration pour certains, déchéance pour d’autres. Cette multitude d’interactions qui se crée à partir de l’objet ne sont pas de même nature. L’archéologie préventive en témoigne. Elle s’inscrit dans l’urgence et bien souvent l’archéologue se trouve l’obligé du terrain n’ayant d’autre objectif que de transcrire en archives de fouilles les archives du sol. Dans son activité, l’objet archéologique est une notion exhaustive qui dépasse le cadre strict de sa matérialité.

Certes, l’objet archéologique est réel, visible ou matérialisé par la fouille, dans des sachets (tessons, prélèvements, etc.), au laboratoire, mais cela fait longtemps que sa simple matérialité ne suffit plus : son contexte importe tout autant.

Conscience collective d’un phénomène destructeur, l’archéologue, homme de science, met en œuvre des stratégies d’observations et des protocoles d’enregistrement cherchant à consommer, dans une politique du moindre mal, la césure opérée entre l’objet et son contexte. De son exhumation à sa conservation finale, l’objet subit des transformations modifiant et enrichissant peu à peu son identité.

Les informations ainsi recueillies sont de différentes natures (François Djindjian).

Elles sont dites intrinsèques, lorsqu’elles visent l’objet lui-même. Elles sont le fruit d’un processus relationnel entre l’objet et la personne qui lui donne sens : l’archéologue, le chercheur, le restaurateur, l’amateur. Ces différentes personnalités tentent alors chacune de l’interroger pour ce qui la concerne, créant ainsi sa propre représentation intellectuelle de l’objet, mais idéalement dans l’intérêt des autres : un travail pluridisciplinaire. Il n’est plus rare de croiser, sur un chantier de fouilles, une multitude de spécialistes : géologues, sédimentologues, palynologues, malacologues, anthracologues, xylologues, etc.

Chacune de ces personnes apporte le point de vue décisif de la discipline archéologique. Par elle, une chaîne spécifique se créée qui est le résultat complexe de l’expérience, des Ecoles, des mouvements de pensées, conscients ou inconscients, qui font d’elles celles qu’elles sont.

La démarche archéologique pourrait s’arrêter là et ne pas chercher à préserver d’autres données. Pourtant, elle ne le fait pas. L’étiquette d’antiquaire est quelque peu désuète et il lui appartient en propre d’interroger le fait archéologique total.

Les informations extrinsèques prennent en compte les différents contextes que rencontre l’objet.

La fouille tout d’abord visitée comme un acte authentique, quelque peu salvateur, qui arrache de l’oubli une mémoire un peu lointaine. Les relations de l’objet dans l’espace et dans sa contemporanéité (chronologie relative) plus ou moins distante par rapport aux autres objets et structures (murs, sépultures, etc.). Vient ensuite une succession d’étapes : l’étude, l’analyse, la compréhension des relations entretenues (diachronique et synchronique), la préservation, la conservation parfois son exposition. Des prélèvements, des dates, des noms  (l’inventaire, le conservateur, le restaurateur, le propriétaire) complètent son état civil. Même l’acte de décès doit figurer sinon l’objet ne serait pas complet. C’est ainsi que l’objet archéologique est devenu objet de science, matériau d’étude.

L’archéologue tente alors de le faire parler, de lui faire dire ce qu’il a dire et parfois de lui faire dire ce qu’il veut entendre. Le document n’est pas innocent. L’objet archéologique s’inscrit dans un corpus documentaire qui lui est préexistant. Il permet à la fois d’accroître ce dernier et de poser de nouvelles problématiques au regard des éléments de connaissance apportés. Ensuite de simple document, il deviendra documentation. Il sera cité, dessiné, noté, exploité. Imbriqué dans une typologie, dans une chronologie et dans une géographie, l’histoire lui appartiendra car c’est lui qui l’écrit.

Enfin, après tant de services rendus, l’objet est laissé pour lui-même. La plupart n’auront d’autre vie que de croupir dans un dépôt. Beaucoup de demandes, peu de place : est-il muséable se demande-t-il en vain ? L’objet acquiert une autonomie relative. Son passé le suit. Mais est-il majeur ? Se pose la question délicate de son tuteur légal. Serait-ce l’Etat, la collectivité, une commune, un particulier ? Il en va d’une question de sécurité juridique et de reconnaissance sociale.

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A noter que cette réflexion a été mentionnée dans l'ouvrage collectif  "Methods and Tools for Effective Knowledge Life-Cycle-Management" sous la direction d'Alain Bernard et de Serge Tichkiewitch aux Editions Springer (7 avril 2008) -  p.318 - http://www.Archeologia.be - p.330.


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