Pont des Trous : une porte d’eau médiévale
« La Ville de Tournai possède un
vénérable ouvrage du moyen âge qui enjambe
l'Escaut. (…) {D'ailleurs}, il n'existe plus que 5 ponts
militaires, dont 3 du XIIIe siècle et le Pont des Trous est l'un
de ces trois, ce qui suffirait à nous le rendre fort
précieux. Mais le Pont des Trous offre une particularité
supplémentaire qui en augmente singulièrement la valeur.
On sait que ce n'était pas un ouvrage affecté à la
circulation publique. Il servait exclusivement à la
défense. Il ne représentait, somme toute, que la
traversée du fleuve par les courtines de l'enceinte.
L'archéologie contemporaine a donné à ce genre
d'ouvrages le nom de « porte d'eau ». Les
anciennes miniatures, les tableaux de nos primitifs nous en montrent
fréquemment. Mais il ne subsiste plus en Europe –
répétons : dans le monde – qu'une seule de ces
portes d'eau : le Pont des Trous ». C'est en ces termes
qu'Eugène DHUICQUE, architecte et membre de l'Académie
royale des Beaux-Arts de Bruxelles, parlait du Pont des Trous
après-guerre alors que se posait la question de la restauration
de ce dernier suite au dynamitage de ses arches en mai 1940 et de la
nécessité d’adapter l’édifice aux
contraintes de la navigation.
Le Pont des Trous est l’un des trois derniers ponts à
vocation militaire datés du XIIIe siècle subsistant en
Europe. Malgré les restaurations et l'évolution du
bâti qu'il connut au cours du XXe siècle, c’est la
seule porte d’eau d’envergure ayant conservé son
aspect originel.
Extrait de BOZIÈRE, Tournai ancien et moderne, détail de la planche XII
Au cours des siècles, il remplira sa fonction de porte
d’eau, contrôlant l’accès à la ville
par l’Escaut mais aussi tout en la protégeant. Sa vocation
première était donc de défendre le cours de
l’Escaut dans sa traversée de la ville. Sur le plan du
bâti, la tour de la rive gauche - « tour du
Bourdiel » - date de 1281. La tour située sur la rive
droite, dite « tour de la Thieulerie », a
été construite entre 1302 et 1304.
En 1340, lors du siège de la ville, un assaut y sera mené
par des milices flamandes et des troupes anglaises. La légende
veut que cette attaque ait été repoussée en raison
de l’apparition - dans les fumées des combats - de la
Vierge Marie à la tête d’une armée
d’anges. En ex-voto, la tour de la Thieulerie abrita pendant des
siècles une statue représentant la Sainte Vierge. Cette
dernière disparaîtra lors de la restauration de 1847.
Aujourd'hui, la niche située au-dessus de la porte de la tour de
Thieulerie témoigne de cette histoire.
"Nederlands: Pont des Trous, Doornik"
in Collection des principales vues des Pays-Bas (DEWASME & Cie)
http://uurl.kbr.be/1044143
Gravure 19ème
En 1515, la tour de la Thieulerie est intégrée aux
fortifications construites dans le quartier du château par Henri
VIII. La tour du Bourdiel est englobée dans un boulevard
d'artillerie dont des vestiges subsistent dans le Jardin de la Reine.
Lors de la canalisation de l’Escaut voulue par Louis XIV, le Pont
des Trous sera enterré de 2,5 à 2,8 m suite à la
construction des quais. Il demeurera en l'état jusqu’au
XIXe siècle.
En 1847, il fit l’objet d’une restauration: le toit de la
courtine ainsi que les murs intérieurs sont enlevés. Ils
ne seront jamais rétablis.
Classé une première fois en 1936, il est l'un des plus
prestigieux vestiges de l’architecture militaire
médiévale de Belgique.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, le 19 mai 1940, les troupes
anglaises, battant en retraite, décidèrent de faire
sauter tous les ponts de la ville, y compris le Pont des Trous. Seules
les arches furent réellement impactées. Les tours furent
miraculeusement épargnées malgré un dynamitage
programmé.
Photo Jules Messiam – Juin 1940
En 1947, lors de la reconstruction, malgré son
déclassement, les arches sont mises à gabarit pour la
navigation. Elles sont modifiées pour prendre leur aspect actuel
: les deux arches latérales mesurent 7,18 mètres de large
et 8,25 mètres de hauteur et l'arche centrale 11,3 mètres
et 9,1 mètres. Les piles des arches sont déplacées
et orientées parallèlement au cours du fleuve de
façon à permettre le passage des plus gros bateaux.
Pourtant, en 1949, l’Administration des Ponts et Chaussées
ne tarissait pas d’éloges devant sa réalisation,
« grâce à la minutie et au soin apportés dans
l’étude et l’exécution, ce travail
délicat fut réalisé avec le plus grand
succès ». C’est aussi le témoignage
d’une belle prouesse technique. Les deux tours de
maçonnerie en mauvais état, pesant chacune près de
2.700 tonnes, seront relevées de 2,4 m. Pour y arriver, les
ingénieurs scient les deux tours au niveau de leur fondation et
les relèvent petit à petit au moyen de vérins et
de grilles en béton précontraint.
L’opération se déroule par étapes, et permet
à la population d’assister à un véritable
spectacle. Une prouesse qui mériterait à elle seule un
classement à part entière !
Le Pont des Trous vu de l’aval, en rive droite, en mai-juin 1940.
Sous les ouvriers, le parement est celui, intérieur, de la glissière de herse
Le Pont des Trous vu de l’aval à la veille de son relèvement, 1946-1947.
Des gabarits en bois
préfigurent la hauteur que doit atteindre l’ouvrage
d’art après l’opération
Source des
deux images : Liège, Centre d’Archives et de
Documentation de la CRMSF, fonds de la CRMSF, dossier Tournai 2.81
Via « BROTCORNE Benjamin et alii, Spécial Pont des
Trous, éd. Pasquier Grenier A.S.B.L., Tournai, 2015, p.4-8 ; 31
; 40-45 ; 46-50 »
Dans les années 80, le regard porté sur
l’édifice laissent entrevoir une nouvelle
possibilité de classement. C’est dans ce contexte que le
Pont des Trous fut l’objet d’un nouveau classement par
Arrêté de la Région wallonne pris en date du 6 mai
1991, et ce, en raison de sa valeur esthétique et scientifique.
La protection accordée vise non seulement le monument (tours et
arches) mais également le périmètre entourant ce
dernier (quais et Jardin de la Reine).
Depuis 2013, la Région wallonne fait de la mise à gabarit
de l'Escaut une priorité, et ce, afin de profiter de
l'aménagement du Canal Seine-Nord-Europe. En soi, notre
rôle n’a jamais été de nous opposer à
cette mise à gabarit, mais nous ne pouvions accepter les
conséquences qu'une opération emporterait sur un
édifice exceptionnel.
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