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Belgique
- Blandain/La ZAE Tournai Ouest III (Phase 1 C) : une occupation de
l’Âge du Bronze Final et du Premier Âge
du Fer -
Entretien avec Olivier Mortier, Archéologue à
l'Awap
(Archeologia.be, 16 février 2022)
Tournai
(Belgique) - Dans le cadre de l’extension d’un
zoning
industriel (Tournai Ouest 3), l’Agence wallonne du Patrimoine
a
entamé dès 2018 toute une série
d’opérations archéologiques sur le
territoire du
village de Blandain.
Les
résultats scientifiques engrangés ont
été
spectaculaires. Le travail des archéologues a ainsi permis
de
mettre au jour le plus important site protohistorique jamais
découvert en Wallonie.
Trous
de poteaux, fosses, silos, puits, tessons, silex… autant
d’indices qui permettront aux scientifiques
d’apporter un
éclairage nouveau sur l’occupation humaine dans la
région du Tournaisis entre l’Age du Bronze
à
l’Age du Fer (entre 2.300 et 100 avant notre Ere)
Olivier MORTIER,
archéologue à l’Awap depuis 2019.
Ce dernier intervient principalement sur les chantiers
d’archéologie préventive pour la
Direction
Opérationnelle Zone Ouest (Hainaut)
Pierre-Emmanuel LENFANT - Archeologia.be
Posté
le 14 février 2022
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Voilà. En ce jour
où nous échangeons ces quelques mots, la fouille
est en
passe d’être achevée, mais pour en
arriver
là, il a fallu creuser, observer, s’interroger,
émettre des hypothèses. … et
d’emblée, une question se pose :
concrètement
comment procédez-vous pour repérer des traces
potentiellement archéologiques ? Quelles sont vos
méthodes ?
En ce qui concerne
l’opération
réalisée dans la future zone
d’activité
économique de Tournai Ouest 3, il a
été
décidé de mener une évaluation
archéologique. Cette vaste opération,
initiée en
2018, a été subdivisée en plusieurs
phases. La
fouille dont il est question aujourd’hui correspond
à la
phase 1C du projet. Afin d’inspecter cette zone de dix
hectares,
une série de tranchées de plusieurs centaines de
mètres ont été entreprises
à l’aide
de pelles mécaniques. Ces tranchées sondent
environ 10%
du terrain et nous permettent d’entrevoir les restes
archéologiques conservés sous la couche de terre
végétale. Ces vestiges se démarquent
du sol
naturel par leurs teintes différentes formant des zones plus
sombres ou plus claires selon les comblements rencontrés.
Ainsi
aux aléas des différentes tranchées,
nous
rencontrons des zones où ces vestiges se concentrent ou sont
plus rares, voir totalement absents. Lors de
l’évaluation,
quelques structures archéologiques sont
dégagées
entièrement et fouillées afin de nous donner une
idée du type de vestiges découverts ainsi
qu’une
première datation.
Une fois toutes les tranchées
réalisées, nous
décidons des zones à investiguer plus en
détail
grâce à un décapage plus large. Ces
ouvertures sont
déterminées par la concentration de vestiges
observés en tranchée, par le type
d’occupation
dégagé et par le temps de fouille disponible.
En ce qui concerne cette fouille, cinq secteurs ont
été
ouverts. Dans la partie nord-est de la zone, quatre secteurs ont mis au
jour un habitat protohistorique de la fin de l’Âge
du
Bronze et du début du premier Âge du Fer. Dans le
cinquième situé plus au sud, un campement
militaire de
l’époque moderne a été
dégagé
partiellement. Il se caractérise par un fossé
défensif combiné à une
série de petits
foyers.
Nous le
voyons sur les
photos reprises ci-dessous, de nombreuses zones présentent
des
colorations différentes. Elles peuvent être
souvent
évocatrices d’une « perturbation
»
d’origine humaine. Sur le terrain, quels sont les
vestiges que vous avez rencontrés ?
Pour la période protohistorique, une grande
diversité de
vestiges a été dégagée tels
que des fosses
d’extractions de matière première, des
fosses
détritiques, des silos et des trous de poteaux. Ces vestiges
sont assez représentatifs de cette période. De
grandes
fosses au contour irrégulier et de profondeur variable selon
les
endroits ont été découvertes. Ces
fosses sont
caractéristiques de l’exploitation du limon. Ce
limon
entrait dans la composition de différents
matériaux comme
le torchis, mélange de terre et de paille,
employé pour
la construction des murs à cette époque.
D’ailleurs
de nombreux morceaux de torchis brûlés ont
été récupérés
lors des fouilles et
notamment dans un autre type de fosse : les fosses
détritiques.
Souvent circulaire ou ovalaire, ces fosses sont creusées en
cuvette. Outre le torchis, les objets devenus inutilisables ont
été jetés dans ces fosses comme la
vaisselle en
céramique, les outils en terre cuite, en silex, en
grès
ou plus rarement en métal. Elles correspondent à
nos
poubelles d’aujourd’hui.
D’autres structures témoignent aussi de
l’occupation
des lieux. Ainsi une série de trous de poteaux suivant un
alignement précis marquent l’emplacement de
constructions
en bois. À l’heure actuelle, le secteur 3 laisse
entrevoir
un grand bâtiment sur poteau ou une succession de trois
petits
bâtiments. Les analyses 14C ainsi que divers
échantillons
prélevés devraient permettre
d’éclaircir ce
point. Disséminés sur l’ensemble de la
fouille, de
petits ensembles de quatre poteaux disposés en
carré ont
aussi été retrouvés. Ces structures,
plus
communes, sont à interpréter comme des greniers
permettant la conservation des denrées
céréalières.
A côté des greniers, d’autres structures
permettaient de préserver certains aliments. Il
s’agit des
silos. Ces grandes fosses assez profondes ont été
retrouvées en nombre sur le site. Ces silos fonctionnent sur
le
principe de puits à froid en atmosphère
désoxygénée ce qui permet une
meilleure
conservation des aliments.
Enfin lors de l’évaluation, de nombreux
fossés ont
été découverts. Rebouchés
au fil du temps,
ils correspondent à différentes
périodes et sont
les témoins d’anciens aménagements
défensifs
comme pour le fossé militaire d’époque
moderne ou
d’anciens parcellaires s’étalant de la
protohistoire
à nos jours.
Photo 9 et suivantes.
Une fois ces
structures
fouillées, elles sont photographiées,
relevées sur
un plan. Comment procédez-vous pour les
interpréter, leur
donner sens ?
L’interprétation de ces
structures est
l’objectif principal de ces fouilles. Afin
d’identifier la
fonction de celles-ci, plusieurs méthodes
s’offrent
à nous et une fois combinées, elles permettent
d’arriver à des résultats concrets.
Après avoir enregistré une structure
archéologique
en plan, il faut en effectuer la coupe. Cette coupe nous permet
d’obtenir son profil et de l’analyser. Cette
analyse porte
notamment sur la profondeur et la morphologie du creusement
réalisé à
l’époque. De plus, les
différents comblements qui constituent cette structure sont
relevés. Au fils du temps, d’innombrables
données
collectées lors de fouilles
précédentes dans la
région et les pays limitrophes ont permis
d’établir
certaines typologies précises et reconnues. Ces vestiges
sont
donc comparés aux profils rencontrés sur site.
Par exemple, les silos ont généralement un profil
dit
« en cloche » ou « en poire ».
Mais celui-ci ne
permet néanmoins pas à lui seul
d’expliquer cette
fonction de conservation des denrées alimentaires. Et
c’est là qu’au hasard des
découvertes et des
analyses réalisées en laboratoire, une fonction
précise peut être donnée. Ainsi la
récurrence des restes céréaliers
découverts
dans les silos attestent de leur rôle et le site de Blandain
n’échappe pas à la règle. En
effet, un silo
du secteur 1 a vraisemblablement été
ravagé par un
incendie. Cette destruction a permis la découverte
d’un
dépôt céréalier
composé de milliers
de graines, témoins de sa fonction de conservation.
Photos 3, 4, 7 et 8.
La
répartition
spatiale de ces vestiges vous a-t-elle permis d’identifier
des
zones spécifiquement dédiées
à une vie
quotidienne, à l’artisanat, à
l’élevage, au funéraire ?
A l’heure actuelle, nos recherches ne sont pas encore assez
poussées pour pouvoir identifier des zones
précises.
Cette tâche demandera encore quelques mois de travail.
Cependant, quelques éléments plus
évidents sont
apparus lors de la fouille. On peut déjà noter
que la
zone d’habitat se situe dans le secteur 3. La
série de
poteaux ne laisse que peu de doute. Des analyses du sol ont
été réalisées telles que le
taux de
phosphore lié à la décomposition de
matière
organique. Les résultats ont été
concluants et
montrent que cette zone a dû accueillir des
activités
d’artisanat ou d’élevage (des analyses
plus
poussées de ces échantillons permettront une
interprétation plus fine).
De plus, un certain nombre des objets découverts
témoignent d’une pratique de tissage, mais aucun
espace
précis ne peut être affecté
à cette
activité pour le moment.
Lors de la fouille, aucun espace funéraire n’a
été découvert. Cette absence
n’est cependant
pas extraordinaire, peu de sites de cette période ont
révélé un habitat proche
d’un secteur
funéraire.
Vous a-t-il
été possible d’estimer la superficie de
ce «
village » ainsi que la durée de son occupation ?
D’ailleurs, peut-on réellement parler de
« village
» ?
Il est difficile de répondre
à la
question de l’espace occupé. Les études
actuelles
tendent à démontrer que les sites de cette
période
s’étendent généralement sur
une superficie
de trois hectares. Mais il s’agit d’une moyenne,
chaque
site a des caractéristiques qui lui sont propres. Elles
dépendent de la localisation de l’habitat, de
l’importance de l’occupation, du nombre
d’habitants,
…
En revanche, les études récentes et les sites
fouilles
ces dernières années ont permis
d'émettre
l’hypothèse selon
laquelle il faudrait voir ces ensembles comme des unités
familiales plutôt que comme de réels villages. En
effet,
les sites ont tendance à révéler une
seule grande
habitation ou plusieurs petites. Aucun réel village
n’est
connu à ce jour dans nos régions.
Les habitats
découverts à Blandain peuvent-ils être
rapprochés à certaines reconstitutions visibles
à
l’Archéosite d’Aubechies p.ex. ?
De manière
générale, certaines
similitudes peuvent être faites entre l’habitat
retrouvé à Blandain et les reconstitutions de
l’Archéosite d’Aubechies. Mais le site
découvert à Blandain date de la fin de
l’Âge
du Bronze Final (entre 950-800 a. C.) et quelques
éléments laissent entrevoir une occupation au
tout
début du Premier Âge du Fer (entre 800-650 a. C.).
Cette
période de la fin du Bronze final est marquée par
le
retour de grands bâtiments sur poteaux.
Certes les
bâtiments de l’Archéosite utilisent un
système de poteaux et de murs en torchis comme à
Blandain
mais les exemples proposés datent respectivement de 1800 a.
C.
pour l’Âge du Bronze et de 450 a. C. pour
l’Âge
du Fer. L’écart chronologique est très
important et
la mauvaise connaissance de l’habitat de cette
période
reste problématique. Ces reconstitutions ne peuvent donc
donner
qu’une vague idée de l’habitat
découvert
à Blandain.
Toute fouille
conduit en
général à la découverte du
mobilier
archéologique. Sur cette fouille, quelle sorte de mobilier
avez-vous découvert ?
Cette fouille a mis au jour une belle
diversité de mobilier archéologique. Une grande
quantité de céramiques de très bonne
manufacture
ont été récoltées. Certains
exemplaires ont
notamment été retrouvés intacts.
Diverses fosses
ont fourni du matériel lié au travail du tissage
tel que
des pesons et des fusaïoles. Des morceaux de meules et de
molettes
en grès ont aussi été
découverts. Elles
permettaient d’écraser le grain afin de
réaliser la
farine. Une fosse a aussi fourni un abraseur en grès servant
au
polissage du métal. Une épingle en bronze a
également été retrouvée
dans l’un des
silos. Enfin, un exceptionnel moule en terre cuite pour objets
métalliques a été découvert
(Photo 1). Il permettait
de produire d’un côté une rouelle, objet
symbolique
très répandu à cette
période, et de
l’autre côté, deux pendeloques en forme
de plumes ou
de feuilles. Cet objet est, à notre connaissance, le seul
exemplaire connu pour cette période en Europe occidentale.
Côté
céramique, des remontages ont-ils eu lieu ? A quelle culture
(matérielle) pouvons-nous les rapprocher ?
De ce côté, le travail
est en cours.
Cependant une partie du recollage ayant été
réalisé, une analyse préliminaire a pu
être
effectuée. La majorité de cette production semble
correspondre à celles retrouvées dans le bassin
de
l’Escaut à la fin de l’Âge du
Bronze Final et
de certains sites des Hauts-de France. Une quantité moindre
est
associable à la phase suivante,
c’est-à-dire le
début du Premier Âge du Fer (Photo 3)
Que vous a
appris
l’étude des prélèvements ?
Je pense
notamment aux graines carbonisées. Autres.
(Carpologie, palynologie, anthracologie, sédimentologie,
etc).
Plus de cinq cents
prélèvements ont pu
être réalisé lors de cette fouille
(Photo 2). Cependant nous
ne sommes pas encore assez avancés dans nos recherches pour
avoir pu en isoler quelques-uns, suffisamment pertinents, pour
effectuer une analyse 14C. Mais il en sera question notamment sur les
charbons retrouvés dans les trous de poteaux. Ainsi une
datation
plus précise du bâtit pourra être
envisagée.
Comme cité précédemment, des analyses
du taux de
phosphore ont déjà été
entreprises mais
elles demanderont une étude plus poussée afin
d’affiner les résultats.
Enfin, une analyse préliminaire du
dépôt
céréalier a été
réalisée par
Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IrSnB) à
Bruxelles. Ces graines carbonisées lors de
l’incendie se
composent principalement de blés amidonniers
mêlés
à de l’orge, de l’épeautre et
à
quelques plantes sauvages telles que l’avoine folle ou le
brome.
Des rejets de foyer qui comprennent des ossements animaux ont
été collectés. Ces
prélèvements
pourront aussi nous éclairer sur les pratiques alimentaires
de
cette population.
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