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Communiqué
de presse du réseau Archeologia.be et de l'ASBL
Communauté Historia suite au reportage Investigation (RTBF)
spécial Patrimoine wallon - L'exemple symptomatique de Tournai (27 janvier 2022)
Le constat est posé. Lamentable. Le patrimoine wallon vit des heures
sombres. Il est confronté à une défiance de plus
en plus importante de personnes élues censées le
défendre. Le fait est parfois pleinement assumé avec un
laisser-aller conduisant à un abandon pur et simple. Le fait est
parfois plus sournois avec une fuite en avant et une solution
hypothétique, probable et, le plus souvent, incertaine qui en
constituera la règle et en sonnera le glas. L’hypocrisie
actuelle allant même jusqu’à reprocher aux citoyens
de ne pas avoir agi plus tôt en lieu et place…
Alors que tout un chacun serait en droit d’attendre une gestion
saine d’un patrimoine culturel commun, de trop nombreux
élus ont fait le choix de la gommer de toute ambition politique.
Le constat fait mal car il confirme qu’en Wallonie, il ne fait
pas bon vivre patrimoine culturel.
Porche occidental de la Cathédrale Notre-Dame de Tournai
Statuaire médiévale en attente de restauration depuis plus d'une décennie.
Pierre-Emmanuel Lenfant
Auteur du réseau Archeologia.be
Vice-Président ASBL Communauté Historia
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Restaurer
un édifice, ce n'est pas uniquement
l'entretenir, le réparer ou le refaire, c’est lui garantir
une
pérennité dans le temps pour la génération
présente et celle qui lui
suivra. Outre le sentiment d’une histoire commune, ce patrimoine
peut rapporter : "un euro qui y est investi en rapporte trois" (dixit).
Lorsqu'il est question d'une restauration,
il importe de réfléchir à deux aspects : celui de
la reconversion et celui de l’intégration. Et en Wallonie,
de tels projets ne
manquent pas : couvent des Récollets de Nivelles, couvent des
Clarisses
à Enghien, églises transformées en immeubles
à appartements, etc.
Nous pourrions en être satisfaits en nous disant
que le
secteur privé en investissant de la sorte fait œuvre de
sauvegarde.
Ce n'est que trop rarement le cas. Dénoncés par des
collectifs citoyens, une majorité de projets auront la plupart
du temps un impact négatif sur
l’histoire et l’intégrité historique des
sites concernés mais également sur le tissu architectural
avoisinant.
Ce qui est encore plus
inquiétant, c’est que, malgré la mobilisation,
rares sont les
Autorités qui semblent enclines à écouter et
répondre aux attentes des citoyens.
Pire, dans certains cas, ces mêmes Autorités ne respectent
pas le
cadre réglementaire qui aurait dû s'appliquer et valident des projets
attentatoires au patrimoine. Une incompréhension pour beaucoup
à laquelle s'ajoute une Administration wallonne du
Patrimoine (Awap) sourde ou fuyant trop souvent ses propres
responsabilités.
Mais les restaurations se font rares. Combien d’édifices
remarquables ou classés à ce titre sont aujourd’hui abandonnés et pour
certains à l’état de ruines ? Ces dernières années, nous avons malheureusement dû
constater que de nombreux sites d’importance sur le plan historique
s’engageaient doucement mais sûrement vers une disparation pure et
simple. Ainsi, à Tournai p.ex., les églises de la Madeleine, des
Rédemptoristes ou encore de Sainte-Marguerite (un large inventaire est repris ci-dessous)… sont devenues les
symboles de la politique du lierre. Cette politique est la moins
exigeante. Elle ne nécessite aucune implication. Un politique ne
viendra s’émouvoir que lorsqu’un citoyen versera une larme… et le
constat sera alors sans appel : souvent, il sera trop tard.
En
l’espèce, la Cité des cinq clochers souffre d’une sorte de
blocage à l’égard de son patrimoine. A des mesures durables, on
privilégie des mesurettes depuis toujours. A des mesures de
sauvegarde, on investit dans des projets tels le Smart Center en total
décalage par rapport aux besoins de la Ville.
Les conséquences de cette inaction sont dramatiques. Des pans entiers du patrimoine
tournaisien sont laissés à l'abandon et menacent aujourd'hui ruine. D’ailleurs, avec le temps, Tournai est
devenue une sorte de Pompéi en Wallonie picarde. C’est la force
tranquille des inerties qui a enseveli le patrimoine sous un tas de «
peut-être », de « pourquoi pas », de « on verra ». Deux exemples
évocateurs : la vente envisagée par le CPAS de Tournai du Mont-de-Piété
(1626) (qui signerait au passage la disparition du musée d’archéologie)
et la restauration (toujours hypothétique) de la Tour Henri VIII à
l’égard de laquelle la seule décision prise dernièrement fut de
consolider un échafaudage historique pour les années à venir. Une saga
sans fin.
Certes, l’honnêteté intellectuelle ne peut
passer sous silence les investissements réalisés en faveur de nos
monuments (notamment le chantier de restauration de la Cathédrale
Notre-Dame). Le problème c’est que cette Cathédrale a polarisé toute
l’attention politique et financière en laissant les autres éléments
patrimoniaux se faire grignoter tranquillement par le temps qui passe.
Que
manque-t-il donc à la Wallonie, et, en particulier, à Tournai pour que
son patrimoine puisse contribuer à soutenir durablement son économie ?
Et c’est effectivement là que le bât blesse : outre le
sous-investissement dénoncé, c’est la faiblesse de sa politique
touristique.
Lorsque l’on apprend que les Autorités de
Tournai sont satisfaites d’une fréquentation de l’ordre de 86.000
visiteurs en 2021 pour ses musées, pouvons-nous nous en réjouir ? La
réponse est clairement négative. Ainsi, une ville à l'histoire comparable
comme celle de Tongres connaît pour son seul Musée gallo-romain une
fréquentation de l’ordre de 95.000 visiteurs par an. Tournai inquiète.
Tournai interroge. Comment une ville disposant d'un patrimoine culturel
exceptionnel de stature européenne peut-elle se satisfaire d’une si faible
fréquentation ?
Alors que côté flamand, Tongres a fait
le choix, pour 2022, d’investir dans son offre muséale en
agrandissant
son Musée gallo-romain afin d’y adjoindre de nouvelles
collections
(époque mérovingienne). Côté tournaisien, il
n’y a pas de fil rouge.
Pour les Musées des Arts décoratifs et
d’Archéologie, la mise en caisse
semble la seule certitude. Une petite vitrine par ici. Une petite
vitrine par là. On verra bien. On réfléchira
après… A quand une
dynamique patrimoniale positive, intelligente, claire et inscrite dans
la durée ?
Or, de quelles richesses dispose Tournai et
qui lui permettrait de jouer dans la cour des grands ? La réponse est
évidente : son patrimoine (notamment Unesco) et son histoire. Tournai
est une ville deux fois millénaire. Berceau des rois de France, elle a
été anglaise, espagnole, française à plusieurs reprises, autrichienne
et hollandaise. L’un de ses grands récits résulte de la découverte en
1653 du trésor de Childéric. Parler de cette découverte. Raconter
l’histoire de ce roi et de son impact sur l’histoire de France. Créer
une dynamique. Faites le pari du patrimoine. Et pourquoi ne pas rénover
les tours Saint-Jean et Marvis avec une approche Guédelon ? Et en faire
de même pour le château de Vaulx ? Inscrire le tout dans la durée.
Faire rêver les voyageurs de passage. Sans
terreau fertile, la Cité de Clovis n’aura aucun avenir!
Le temps de l'action est venu! Tournai
mérite mieux que d’être un nom dans les livres
d’histoire. Des
nombreuses villes françaises, comme Lille, ont relevé, il
y a plusieurs
décennies déjà, le défi patrimonial. Tout
n’est pas parfait, mais la Capitale du Nord a su démontrer
que rien n’était impossible en devenant un acteur-phare
sur la scène culturelle européenne. Les Tournaisiens
manquent-ils à ce point d’orgueil et d’ambition pour
ne pas tenter de
rivaliser avec leur grande cousine du Nord ? Aujourd’hui plus
qu’hier,
il devient impératif de se retrousser les manches!
Au regard de ce qui précède, nous plaidons pour ce qui suit :
- Au
niveau tournaisien, nous souhaitons que ce reportage serve
d'électrochoc et, que, dans la foulée, des
décisions rapides,
courageuses, durables soient prises en faveur du patrimoine. Nous
plaidons pour que la ville
insuffle une dynamique nouvelle au niveau de son tourisme et que cette
dynamique soit confiée à
un personnel compétent et impliqué. Il faut arrêter
de se contenter d’une
politique de l’à-peu-près!
- Au niveau wallon, nous
plaidons pour une meilleure prise en compte des avis citoyens dans le
cadre des enquêtes publiques. Nous plaidons pour des
synergies entre l’Administration et les
entreprises du bâtiment sensibles ou impliquées dans cette
problématique. Nous plaidons en outre pour une
responsabilisation plus
forte des propriétaires de monuments classés ou repris
à l’inventaire.
Des chefs-d’œuvre sont sur le point de disparaître
dans l’indifférence
politique la plus complète (p.ex. le château des Comtes de
Méan à
Blégny)! Enfin, nous plaidons pour une Administration wallonne
du patrimoine suffisamment respectée et indépendante pour
assumer les missions qui lui sont dévolues. A cet égard,
nous serons extrêmement attentifs à la réforme en
cours du Code du Patrimoine en espérant que cette
dernière ne porte pas un coup fatal à notre
Patrimoine!
- Plus
largement, nous plaidons pour une plus grande sensibilisation des
jeunes publics à la question du patrimoine. Les chantiers de fouilles,
de restauration ne manquent pas et pourraient susciter vocations et
intérêt.
- Au niveau de l’ASBL
Communauté Historia, nous réfléchissons
actuellement à la création d’un label de
qualité pour les entreprises
qui respecteraient une charte de bonnes pratiques. Nous travaillons
également à la création d’un inventaire des
biens culturels d’intérêt
communal, régional voire davantage menacés ou en danger
(sorte de «
cadastre sanitaire »). L’objectif serait d’informer
en amont le grand
public des risques pesant sur un patrimoine clairement identifié
et de réfléchir, en parallèle, aux solutions
envisageables pour le préserver.
Pierre-Emmanuel Lenfant
Auteur du réseau Archeologia.be
Vice-Président ASBL Communauté Historia
* * * *
Tournai et son patrimoine : un état des lieux inquiétant.
Ainsi, du côté du patrimoine architectural militaire
Il
était le seul témoin européen d’une porte d’eau médiévale quasiment
dans son état d’origine en 1940. Propriété de la région wallonne,
classé, il a été dénaturé par un chantier de «
déconstruction-reconstruction » aux antipodes d’une restauration.
Pierre-Emmanuel Lenfant
Propriété de la Ville de
Tournai, il s’agit du seul vestige subsistant de la courte
période anglaise de
1513-1519. Un exemple rare d’une tour d’artillerie du
début
du XVIe siècle. Le site est abandonné depuis 2000.
Pierre-Emmanuel Lenfant
- Tour Marvis et de Saint-Jean
Front
de fortifications médiévales du XIIIe siècle rescapé de la démolition
de la seconde enceinte communale. Propriété de la Ville de Tournai, ces
fortifications sont en état d’écroulement et ont été fragilisées suite
à l’arrachage (sans consolidation) du végétal qui les recouvrait.
Photo prise avant l'arrachage agressif du couvert végétal.
Les fortifications ont été grandement fragilisées depuis (impact du racinaire)
Pierre-Emmanuel Lenfant
- Château de Vaulx dit « César »
Fortin du XIVe siècle. Le site est
propriété de la Ville de Tournai et en état
d’écroulement.
Michel Toebat
Courtine
et porte de la citadelle hollandaise de Tournai, 1823. Le site est
propriété de l’Etat fédéral (terrain
militaire). Depuis 2008, l'ASBL "les Amis
de la Citadelle de Tournai" participe à sa valorisation et sa
restauration. De nombreux vestiges souterrains non classés mais
de
grande valeur patrimoniale (galeries d’escarpes et de
contrescarpe des
citadelles françaises et hollandaises) courent encore sous le
domaine
militaire, civil, communal et de la Wallonie. Certains sont
actuellement menacés par les travaux d’extensions du CRP
« Les
Marronniers » (fouilles préventives de mars à
juillet 2022).
Du côté du patrimoine architectural religieux
- Cathédrale Notre-Dame de Tournai
Chantier
de restauration de la cathédrale. Le site est
propriété de la Province
de Hainaut et une incertitude demeure quant au devenir du chœur
gothique. Le statuaire médiéval (porche occidentale) est
toujours en attente de restauration (plus d'une décennie
d'attente).
Pierre-Emmanuel Lenfant
- Eglise de la Madeleine des XIIIe-XIVe siècles
Propriété de l’AWAP. Le site est réputé dangereux avec risques d’écroulement.
Philippe Pierquin
- Eglise Saint-Nicolas des XIII-XVe siècles
Propriété de la Ville de
Tournai, l’église a été
désacralisée et est abandonnée.
Philippe Pierquin
Du côté du patrimoine architectural civil
Propriété du CPAS de Tournai.
L’édifice abrite le musée
d’Archéologie et se trouve dans un état de
taudification avancé.
Pierre-Emmanuel Lenfant
- Immeubles de l’Académie des Beaux-Arts, XVIe-XVIIIe siècles
Propriété de la Ville de Tournai. En triste état, le site requiert une restauration complète.
Philippe Pierquin
- Château de Templeuve XVIIIe siècle
Propriété
(en partie) de la Ville de Tournai. L’édifice a été abandonné par
l’administration communale. La solution envisagée serait une vente de
l’ensemble (fuite en avant).
Philippe Pierquin
Du côté du patrimoine mobilier à caractère artistique et historique
- Musée des arts décoratifs
Propriété
de la Ville de Tournai. Les collections sont constituées d’une très
importante réunion de la production tournaisienne des XVIIIe et XIXe
siècles dont des pièces du fameux service du duc d’Orléans, de
l’argenterie et une collection numismatique. Ces dernières sont
laissées à l’abandon dans un immeuble à l’état de taudis qui abritait
le musée rue Saint-Martin.
- Patrimoine mobilier à caractère artistique et historique
Si
la vente du Mont-de-Piété se confirme, les collections romaines et
mérovingiennes du musée d’Archéologie risquent une mise en caisse pure
et simple. Le musée d’archéologie disparaîtra purement et simplement.
Le lapidaire médiéval du jardin du Mont de Piété est également
propriété de la Ville de Tournai. Il est actuellement en état d’abandon
total (dont des façades remarquables d’immeubles détruits lors des
bombardements de 1940 et remontées là afin de les préserver).
Les
caveaux romans peints de l’ancien couvent des Frères mineurs découverts
en 1997. Ces caveaux sont la propriété de la Ville de Tournai et sont
actuellement entreposés dans les casemates de Mons. Le site ayant été
vendu, leur devenir est toujours incertain et d’après nos informations,
aucun déménagement ne peut être envisagé sans consolidation préalable
en raison de leur extrême fragilité.
Les collections du
musée d’Histoire militaire abritées depuis 2000 dans un hôtel
particulier inadapté à une fonction muséale (étroitesse des surfaces
inaptes au déploiement d’une muséographie moderne, réserves entreposées
sommairement dans des locaux en voie de taudification sans aucune
possibilité d’assurer des conditions de conservation décente)
Philippe Pierquin
Les collections du Musée des Beaux-Arts. La
restauration de l’immeuble Horta est certes planifiée, quoiqu’on puisse
s’interroger sur l’adéquation du projet retenu lequel double
littéralement l’actuel musée d’un corset de béton, reste que les
collections de peinture, certaines en mauvais état, nécessitent une
restauration d’envergure.
Philippe Pierquin
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