Tout
d’abord, pourriez-vous nous dire quelques mots sur le contexte
dans lequel s’opèrent actuellement les fouilles
archéologiques réalisées sur le territoire des
villages de Blandain/Marquain, ici, dans la région de Tournai?
Les fouilles sont réalisées sur la ZAE de Tournai
Ouest 3, dont les terrains appartiennent à IDETA. Les
fouilles préventives sont réalisées en aval des
aménagements du zoning par IDETA.
Nous intervenons sur l’ensemble de la superficie, soit
près de 100 hectares, divisé en plusieurs phases. Les
évaluations et fouilles des terrains ont commencé en
phase 1A par l’AWaP en 2018. Depuis
l’été 2019, une équipe de la RPA a
repris les fouilles, en sous-traitance pour l’AWaP, en
phase 1B sur une surface de 28 hectares. Les phases 1C et 2,
soit près de 45 hectares, seront réalisées
ultérieurement, en accord avec le planning général
du chantier.
Vu l’étendue des surfaces agricoles concernées,
comment procédez-vous pour déterminer les zones
à potentiel archéologique ? Effectuez-vous un
décapage systématique ou travaillez-vous sur base
d’une connaissance préalable du terrain
(découvertes anciennes, prospections, etc.) ?
Aucune découverte ancienne ou prospection n’a
été réalisée directement sur le site. Il a
donc fallu réaliser une premièrement phase
d’évaluation en tranchées afin de délimiter
les zones à potentielle archéologique. Ensuite, ces zones
ont fait ou feront l’objet d’un décapage et
d’une fouille.
Concernant le tumulus proprement dit, quelles en sont les principales caractéristiques ?
La structure est totalement arasée, seul son fossé
extérieur est conservé, et c’est seulement sur ce
dernier que l’hypothèse d’un tumulus est
avancée.
Il s’agit d’un enclos circulaire de 18 m de
diamètre. Large d’environ 0,75 m, il est
conservé sur moins de 0,35 m de profondeur en moyenne. Il
présente un profil irrégulier en V évasé et
dissymétrique, ce qui permet d’émettre
l’hypothèse d’une levée de terre dans la
partie centrale. La zone du tumulus étant fortement
érodée (l’érosion est estimée
à environ 1 m, voire plus), aucune structure, autre que
deux rejets de foyer moderne, n’a été
retrouvée à l’intérieur de ce dernier.
Lors de la fouille, du mobilier archéologique a-t-il été mis au jour ?
Du fait de l’érosion importante, très peu de
matériel archéologique a été mis au jour.
La fouille intégrale du fossé circulaire n’a
livré que quelques tessons de céramique, de rare
éclat de silex et de rares fragments de charbon de bois.
L’acidité naturelle du terrain lœssique de cette
partie de la Belgique empêche la conservation des
matériaux organiques. Aucun reste osseux, ou
végétal, n’a été retrouvé.
L’âge de cette
structure funéraire est estimé entre 3.000 et 3.500 ans B.P.
À quelle période chrono-culturelle, pouvons-nous le
rattacher ?
Sur base d’une première analyse, ce tumulus est datable de
l’âge du Bronze. À l’heure actuelle et en
absence d’éléments de datation plus précis,
il est difficile d’affiner cette attribution.
D’un point de vue
sociétal, quelle est la vocation d’une telle structure
(« funéraire »)? Qu’est-elle
censée « incarner » pour une population
locale ?
Les tumuli sont, en premier lieu, des monuments funéraires
d'individus ayant un certain statut socio-politique et/ou
économique. Il s’agit d’un monument
commémoratif, qui sert de manifestation et une reconnaissance du
statut du défunt. Raison pour laquelle les tumuli sont
placés à des endroits importants et bien visibles. Par la
suite, ils sont devenus des repères et des points d'orientation,
structurant progressivement le paysage des générations
suivantes.
En outre, en tant que marqueurs du paysage, les tumuli deviennent
également des marqueurs de territoire. Ainsi, les membres de la
communauté locale, des communautés voisines et les
étrangers ne pouvaient les ignorer lorsqu'ils traversaient le
territoire ou y pénétraient. Dès lors, les tumuli
n'étaient pas seulement l'expression de l'identité
sociale (c'est-à-dire du statut) de l'individu enterré,
mais aussi un indice de l'identité socioculturelle de la
communauté locale et une manifestation de sa richesse à
l’intention des communautés étrangères. De
cette façon, ils pouvaient même refléter une forme
de concurrence sociale entre les communautés (De Reu et al.
2011).
Concernant cette datation
précisément, quelle a été la méthode
employée ? (Des restes carbonés vous ont-ils
aidé ou la morphologie générale du tumulus
fut-elle suffisante ?)
La datation s’appuie sur les quelques tessons
mis au jour dans le fossé circulaire (ce qui explique que la
fourchette est large). La morphologie du fossé semble
correspondre à la datation proposée, qui à
l’âge du Bronze présente, pour les structure
circulaire simple, un diamètre compris entre 15 et 45 m, avec
une moyenne de 24,5 m (De Reu et al. 2011). Dans l’optique
d’affiner l’attribution chronologique, les restes de
charbon de bois retrouvés feront l’objet de
datation 14C.
Bien que le site soit
extrêmement érodé, malgré la
« pauvreté » relative en termes de
mobilier, les sédiments argileux sont-ils susceptibles
d’apporter des éléments de réponse par
rapport aux interrogations que vous, scientifiques, vous vous
posez ? (si tel est le cas - Prélèvements - et dans
si oui lesquels?)
En effet, l’étude des différents remplissages du
fossé permettra de comprendre les dynamiques de comblements de
celui-ci, et d’envisager l’évolution de la structure
dans le temps. Le prélèvement d’une partie de ces
différentes couches pour une étude carpologique et
xylologique a été effectué. De même des
prélèvements en colonne ont été
effectués pour une étude palynologiques et des
phytolithes afin de déterminer l’environnement naturel
immédiat du tumulus.
De plus, l’étude du niveau de décarbonatation
aurait permis d’évaluer la taille initiale du tumulus, de
son fossé, et la présence, du nombre et la disposition
des fosses sépulcrales. Malheureusement, la géologie des
sols locaux n’a pas permis d’atteindre ce niveau et
d’en étudier les caractéristiques.
La découverte est remarquable sur le plan scientifique, est-elle pour autant exceptionnelle ?
Non, ce type de structures est assez bien connu dans
le Hainaut (La Louvière, Ghilenghien,
Braine-le-Comte/Ronquières, etc.), en Belgique, ou dans les
régions limitrophes. Ainsi, en 2011, 1105 structures circulaires
sont inventoriées en Belgique comme des tombelles de
l’âge du Bronze, dont moins d’un dixième a
été exploré (De Reu et al. 2011).
De plus, l’érosion importante du site et la faible
conservation de la structure font qu’on ne peut pas parler de
découverte exceptionnelle.
Peut-on espérer que d’autres tumulus soient découverts à proximité ?
Un autre petit enclos circulaire de 2,5 m de diamètre a
été mis au jour à environ 130 m. Il est fort
probable que d’autres structures du même type soient
découvertes, d’autant plus que les zones alentour restent
à fouiller. Cependant, l’érosion forte de cette
partie du site laisse envisager une conservation faible, voire
très faible, des potentielles autres structures
funéraires.
Enfin, et nous en
terminerons par-là, la Région wallonne a-t-elle
envisagée de valoriser le site ? Vu son
intérêt indéniable, serait-il intéressant de
le « reconstituer » afin de le rendre visible de
tout un chacun ?
Il ne serait pas pertinent de conserver les vestiges sur place et
d’essayer de les valoriser pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, la très faible conservation de la structure et la
ténuité des informations qu’elle
révèle ne permettent pas d’en faire un exemple
à la fois parlant et juste sur le plan scientifique. De plus, sa
situation au milieu d’un parc d’activité
économique soumis à permis d’urbanisme ne se
prête pas à une intégration paysagère ou
mise en valeur efficace.
Par contre, le matériel récolté sur place fera
l’objet d’une restauration. Après étude, il
sera mis en valeur dans un lieu approprié (dépôt
agréé par le Service public de Wallonie) et son contexte
de découverte sera clairement exposé. Cette solution
permettra une information complète et aisément accessible.
Vue - Orientation Sud
RPA ASBL/AWaP
Vue - Orientation Sud-Est
RPA ASBL/AWaP
Vue - Orientation Sud-Est
RPA ASBL/AWaP
Pierre-Phillippe Sartieaux (AWaP)
Aménagement : Si c’est pour l’aménagement de la ZAE, entrepreneur IDETA, maître d’ouvrage TRBA
Contrôle scientifique : Agence Wallonne du Patrimoine
Recherche archéologique : Agence Wallonne du Patrimoine et RPA
Responsables scientifiques : Aurélie Lecompte (AWaP), Martin Zeebroek (RPA)
Bibligraphie : De
Reu 2012 : De Reu (J.) – Land of the dead. A comprehensive study
of the Bronze Age burial landscape in north-western Belgium, Gent,
Thèse de doctorat inédite, Universiteit Gent
Presse : Un tumulus de plus de 3.000 ans et une ferme gauloise découverts sur le site du zoning Tournai Ouest III (no télé, 15 janvier 2020) |