"Métallurgie du
Cuivre en Egypte Antique : expérimentation des techniques de
réduction d'Ayn Soukhna et de la cire perdue de Qubbet
el-Hawa" (Archeologia.be, 9 juin 2017)
Georges VERLY - archéométallurgiste, Frederik Rademakers
- archéométallurgiste, Johannes Auenmüller -
archéométallurgiste et Hugues Paridans -
archéométallurgiste nous parlent des
expérimentations qu'ils mènent à partir des
données scientifiques collectées au cours des fouilles
archéologiques auxquelles ils participent en Egypte pour tenter
de percer le mystère des techniques de réduction, de
fusion et de cire perdue utilisée par les égyptiens
durant l'Antiquité. www.eacom.be
Reportage par Pierre-Emmanuel LENFANT réalisé
à
l'occasion du
Week-end d'archéologie expérimentale qui s'est
tenu
à l'Archéosite d'Aubechies (Belgique) les 27 et
28
août 2016.
"Ayn
Soukhna, port de la mer Rouge à
l’époque
pharaonique" par Claire Somaglino (Archeologia.be, 12 juin 2017)
Situé
à une cinquantaine de kilomètres au sud de Suez,
sur la
côte de la mer Rouge, le site d’Ayn Soukhna a
été formellement identifié en 1999
grâce aux
inscriptions rupestres qui y figuraient. Les opérations de
terrain ont véritablement commencé en 2001 et se
poursuivent environ un mois et demi par an depuis lors (note 1),
grâce au soutien de l’Institut français
d’archéologie orientale du Caire (Ifao), au CNRS,
à
l’université Paris-Sorbonne et à des
partenaires
privés (note 2).
Avec
l’étude des sites de Mersa Gaouasis et de Ouadi
el-Jarf,
la fouille d’Ayn Soukhna a permis de profondément
renouveler la vision que nous avions des expéditions
égyptiennes entre la vallée du Nil et le
Sinaï,
ainsi que notre connaissance des compétences maritimes des
Égyptiens depuis les époques les plus anciennes.
Ces
trois sites constituent en effet des ports intermittents,
véritables plateformes logistiques permettant aux
expéditions commanditées par le roi
égyptien de se
rendre dans la zone minière du Sud-Sinaï pour
s’y
procurer du cuivre et de la turquoise, et plus rarement dans le
lointain pays de Pount, fournisseur d’encens et autres
produits
exotiques, qui se trouvait sans doute dans la région du Bab
el-Mandab.
L’organisation des expéditions était la
suivante : une troupe de plusieurs centaines à
plusieurs
milliers d’hommes partait de la vallée du Nil
– de
la région de la capitale Memphis dans le cas d’Ayn
Soukhna
– et traversait le désert oriental pour se rendre
sur le
littoral. Elle transportait vivres, matériel, mais aussi des
bateaux en pièces détachées, qui
étaient
remontés une fois la côte atteinte. Une partie des
effectifs restait sur le site, tandis qu’une autre partait,
par
voie maritime mais aussi sans doute par voie terrestre pour le gros de
la troupe, en contournant le golfe de Suez, pour rejoindre la zone
minière. Ces expéditions pouvaient durer
plusieurs mois,
et des équipes mobiles effectuaient des aller-retour entre
la
vallée et la côte, puis jusqu’au
Sinaï, pour
ravitailler les équipes stationnées dans le port
d’une part, et dans les mines du Sud-Sinaï de
l’autre,
ainsi que commencer à ramener le produit de cette
exploitation.
Les expéditions avaient une fréquence
irrégulière et plusieurs années
pouvaient passer
sans qu’aucune ne soit lancée. Au retour du
Sinaï,
les bateaux étaient démontés et
stockés,
avec le reste du matériel, dans des galeries
creusées
dans la montagne rocheuse qui borde la côte, et qui
étaient fermées en attendant
l’expédition
suivante. Le site d’Ayn Soukhna a d’ailleurs
livré
les vestiges carbonisés de deux bateaux
démontés,
entreposés dans deux galeries adjacentes. Datant du
début
de la XIIe dynastie, il s’agit des plus anciens
bateaux de
mer égyptiens connus (v. 1990-1930
av. J.-C.).
Construits en bois de cèdre du Liban, ils devaient mesurer
de 13
à 15 m de long.
Le premier site portuaire égyptien de la mer Rouge est celui
de
ouadi el-Jarf, qui fonctionne sous le règne de
Chéops
sous la IVe dynastie (v. 2589-2563
av. J.-C.). Sous
Chéphren, son fils, les Égyptiens
préfèrent
« déménager »
à Ayn Soukhna,
plus proche de la région memphite, et plus
abrité. Le
site est utilisé durant tout le reste de l’Ancien
Empire
(jusque v. 2180 av. J.-C.), au début du
Moyen Empire
(v. 1994-1928 av. J.-C.), à la fin de la
XIIe dynastie
(v. 1842-1797 av. J.-C.), puis encore durant la
XVIIIe dynastie au Nouvel Empire (1550-1323 av. J.-C.). Durant
une
partie de la XIIe dynastie, le site méridional de
Mersa
Gaouasis est également occupé, au
détriment
d’Ayn Soukhna sans doute (Tallet 2015). Une série
d’inscriptions rupestres, sur un panneau rocheux dominant la
zone
des galeries et permet de retracer l’histoire d’Ayn
Soukhna, ainsi que de connaître l’objectif des
missions
égyptiennes : « ramener du
cuivre et tous les
bons produits du désert » (Abd el-Raziq
et al. 2002).
Une
dizaine de galeries ont été
creusées dans le
rocher pour servir d’entrepôt, et ce dès
l’Ancien Empire. Elles sont réutilisées
durant le
Moyen Empire (Abd el-Raziq, Castel, Tallet 2016). Dans la partie basse
du site, les vestiges d’un véritable village
temporaire
sont progressivement exhumés. Il s’agit de
bâtiments
en pierre sèche, qui servaient pour les uns à
abriter les
hommes, pour d’autres à
l’intendance :
stockage, fabrication des vivres, en particulier du pain, à
partir des matières premières venant de la
vallée.
Deux structures de l’Ancien Empire sont également
à
relier au remontage ou à l’entretien des bateaux.
La
construction d’une route et d’un hôtel
avant le
début de la fouille coupe malheureusement la connexion avec
la
plage et nous prive donc de la majorité des installations
portuaires.
Enfin, la dernière, et non la moindre des
particularités
du site d’Ayn Soukhna, est la découverte de
multiples
ateliers de métallurgie du cuivre, datant du
début du
Moyen Empire (Abd el-Raziq et al. 2011). Ils permettent de reconstituer
progressivement la chaîne opératoire du cuivre.
Leur
découverte fut une surprise car les fours de
réduction
avaient jusqu’alors été
repérés
près des mines, dans le sud du Sinaï. Pourquoi ce
changement de schéma, pendant une courte
période ?
La présence de bois et végétaux
pouvant alimenter
les fours dans la petite oasis qui entourait la source toute proche du
site pourrait l’expliquer.
La fouille des galeries étant désormais
achevée,
nous poursuivons celle de la partie basse du site. Elle nous permet
d’appréhender le quotidien des
expéditions, leur
organisation, et de continuer à approfondir notre
connaissance
de la chaîne opératoire du cuivre.
Pour
aller plus loin :
Abd el-Raziq M.,
Castel G., Tallet P. (avec
la
collaboration de V. Le Provost et
Gr. Marouard), Ayn
Soukhna III, Le complexe des galeries-magasins,
rapport
archéologique, FIFAO 74, 2016 - [lien] Abd el-Raziq M.,
Castel G., Tallet P.,
Fluzin Ph., Ayn Soukhna II, Les
ateliers
métallurgiques du Moyen Empire, FIFAO 66,
Le Caire,
2011 - [lien] Abd el-Raziq M.,
Castel G., Tallet P.,
Ghica V., Les inscriptions d’Ayn
Soukhna, MIFAO 122, Le Caire, 2002 - [lien] Tallet P.,
« Les « ports
intermittents » de la mer Rouge à
l’époque pharaonique :
caractéristiques et
chronologie », Nehet 3, 2015,
p. 31-72 - [lien]
Le site internet de l’Association Mer Rouge-Sinaï
(AMeRS) : https://amers.hypotheses.org (présentation
des
sites d’Ayn Soukhna, ouadi el-Jarf, et du
Sud-Sinaï ;
ressources en ligne).
Notes :
1) Équipe sous la direction de M. Abd
el-Raziq
(Université du Canal), avec Georges Castel (Ifao) et Pierre
Tallet (Université Paris-Sorbonne), puis Claire Somaglino
(Université Paris-Sorbonne).
2) Total-Égypte, Métro du Caire Ligne 3
(Bouygues,Vinci),
Barrage d’Assiout (Vinci), Colas Rail, Saint-Gobain, Air
Liquide,
GdF, EdF