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Portrait d'Ali OTHMAN,
Archéologue syrien en exil (Archeologia.be, 21 avril 2016)
Archéologue syrien, Ali OTHMAN réalise actuellement un travail de
post-fouille (archives et documentation) sur les résultats des fouilles
archéologiques qu'il a réalisées sur le site de
Sura dans la
région de Raqqa (Moyen-Euphrate syrien).
Il s'investit également dans le Projet SHOSI (Safeguarding the
Heritage of Syria and Iraq), partenariat entre la Smithsonian
Institution et le centre du patrimoine de
l’Université de Pennsylvanie
(Penn CHC, Cultural Heritage Center) dont il est d'ailleurs "Consulting
Scholar".
Interview réalisée par Pierre-Emmanuel LENFANT
Réseau Archeologia.be
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Tout
d'abord, je tenais à vous remercier pour avoir
répondu favorablement à cette demande
d'interview. Une première question donc : dans le contexte
actuel, que signifie pour vous être "archéologue
syrien"?
Un archéologue syrien en exil, c’est comme un
combattant désarmé.
J’ai toujours peur
de retrouver ma truelle lorsque l'on fait le ménage
à la maison.
Je crois que le plus dur c'est de
l’avoir gardée près de 6 ans
cachée dans un coin très loin de son milieu
naturel, mon site, Sura.
Depuis la
France, comment vivez-vous la situation? Certains de vos
collègues restés sur place prennent-ils encore
des risques en cachant ou tentant de cacher des biens
archéologiques afin de le préserver du pire?
Dramatiquement, car je ne reçois que de mauvaises nouvelles
concernant notre peuple et ses biens culturel.
Je salue toutes et tous
les collègues sur place, ce sont eux qui pratiquent la
véritable résistance culturelle, même
si c’est aussi une résistance que de lutter pour
ne laisser instrumentaliser le patrimoine.
C’est le plus dur
dans une situation de conflit armé.
En 2014,
vous avez été désigné
expert auprès de l’UNESCO dans le cadre du projet
« Sauvegarde d’Urgence du Patrimoine Syrien
». En quoi consiste cette mission?
Elle devrait consister à réfléchir
à des propositions d’actions concrètes.
Malheureusement, cela permet juste à l’Unesco - lorsqu’elle s’adresse aux différents
médias et compagnies - de prétendre que nous
sommes en train de faire quelque chose d’important.
Or, en réalité, les efforts sont
médiocres et ne visent qu’une toute petite partie
du territoire de la Syrie.
Dernièrement,
nous avons pu lire une lettre ouverte que vous avez adressée
à la Directrice générale de l'UNESCO.
Qu'est-ce qui vous choque dans la position défendue par
l'UNESCO?
C’est que l’Unesco n’a pas rempli ses
devoirs en tant qu’institution neutre dans un temps aussi
critique que celui de la tragédie syrienne.
Dans un cas de
conflit armé, ce n’est pas son rôle de
prendre parti du côté des acteurs
engagés directement dans ce drame.
Il faut qu'elle reste neutre
pour qu’on ne perde pas confiance en elle quand la guerre sera
terminée.
Au regard des destructions dont nous sommes été
témoins, sans taire aucunement les massacres
perpétrés à l'égard des
populations civiles, qu'est-ce que les professionnels du patrimoine syrien ont
besoin aujourd'hui? Les initiatives prises conjointement par des
archéologues français (Centre
archéologique européen et le musée de
Bibracte EPCC) et suisses rassurent-elles les scientifiques en place en
Syrie?
Le patrimoine syrien a besoin de véritables acteurs
institutionnels dans les zones qui sont hors du contrôle des
autorités patrimoniales.
Toutes initiatives prises en France ou ailleurs dans le monde, sont
importantes et viennent, bien entendu, au secours de nos
collègues en Syrie.
Le
pillage archéologique constitue l'un des moyens pour les
organisations terroristes de se financer. Or, le 12 avril 2016, le
Ministre de l'Intérieur belge a fait savoir que sa police était déchargée de ses missions
relatives à la lutte contre le trafic d'œuvres
d'art. Une telle "initiative" est-elle un bon signal? N'est-il pas
paradoxal d'abandonner de telles missions alors qu'en tant que
professionnels du patrimoine, nous avons pleinement conscience des
sommes extrêmement importantes retirées de la
vente de biens culturels par de nombreuses organisations terroristes?
Tous le monde profite du chaos pour piller, et pas seulement les
organisations terroristes. Faire face est une responsabilité
mondiale qui incombe en premier lieu à Interpol.
Dans notre pays, à l’heure actuelle, il est
impossible de contrôler toutes sortes de pillage.
C’est le rôle des pays limitrophes de
s’engager dans cete lutte en collaboration avec Interpol.
Interpol possède d'ailleurs des bureaux locaux, au Liban, en Jordanie, en Turquie, en
Iraq et même en Syrie, mais c’est aussi une
responsabilité de pays plus éloignés
des frontières syriennes, comme les pays
européens et autres. Leur rôle est de fermer la
porte au nez de ceux qui trafiquent de l’art et de biens
culturels mobiliers.
La
destruction délibérée du patrimoine
culturel constitue un crime de guerre. Comment pourrait-il en
être autrement? Mais en cas de menaces imminentes, comment se
prémunir contre le risque de destructions-pillages
systématiques? Selon vous, s'agit-il de
récupérer les œuvres et de les placer
en lieux sûrs? D'autres pistes à explorer?
Il faut, d’abord, que le régime syrien
arrête de bombarder aveuglement les villes et que le monde
entier trouve un moyen d’arrêter cette guerre.
Il faut aussi qu'on puisse se débarrasser des islamistes
et du régime syrien qui est l’état de
barbarie comme disait Michel Seurat.
En Syrie, hélas, on ne dispose pas de lieux sûrs actuellement.
Au terme
de cette interview, une dernière question me taraude:
comptez-vous un jour repartir en Syrie? Plus concrètement,
comptez-vous un jour redevenir archéologue en Syrie?
Mon rêve c'est de rentrer et ce rêve est partagé pour tous mes collègues qui ont dû quitter
leur terre natale.
Ne plus travailler en Syrie - et par là ne plus fouiller sur mon site
(Sura) - fait que je vis aujourd'hui l’archéologie comme un cauchemar, si j’ose dire.
* * *
© SHOSI project - Bombardement
du Musée de mosaïques - Musée de Maarat
el-Nu‘man (Idleb, Syrie du Nord)
* * *
Lettre ouverte
adressée à l'UNESCO et en particulier
à sa Directrice générale
J’ai lu sur le site de l’UNESCO la communication de presse
du 27 mars faite par Madame la Directrice générale
concernant la libération de Palmyre. Il va de soi que
l’expulsion des islamistes est une bonne nouvelle pour tout le
monde, et je ne peux que m’en réjouir de tout cœur,
bien que la perte, puis la reprise de la ville de Palmyre aient
été, avant tout, l’objet d’une mise en
scène médiatique, et non de la lutte acharnée que
l’on voudrait nous faire accroire. De cela, toute personne qui
s’est tenue suffisamment au courant de la réalité
du terrain et du déroulement des opérations sur place est
assurément consciente.
En revanche, je suis fortement choqué, comme la plupart de mes
collègues syriens, par deux points fondamentaux touchant le
traitement d’un patrimoine toujours en plein conflit armé :
Primo : Après maints conflits divers de toutes sortes –
ceux du siècle dernier et ceux qui leur ont
succédé au XXIe siècle –, l’Unesco
envisage tout à coup des actions de « restauration »
(la Directrice générale a « réaffirmé
son soutien total à la restauration de Palmyre »), comme
si la guerre était d’ores et déjà finie, et
la population revenue à sa terre natale. Les seules
opérations que l’on puisse envisager dans le contexte
actuel sont l’état des lieux et les interventions
d’urgence, certainement pas les restaurations. Comment peut-on
parler de restauration des biens culturels alors que le conflit est en
train de ravager le pays ? Et sans même évoquer le sort
dramatique des citoyens de Palmyre, chassés par deux terreurs,
celle du régime syrien et celle des barbus barbares ? Et
surtout, comment peut-on décider à la place des Syriens
ce qu’il doit advenir de leur patrimoine culturel ? Comme vous le
savez très bien, les spécialistes syriens des biens
culturels de Syrie eux-mêmes, toutes catégories
confondues, sont soit divisés en mille factions à cause
de ce conflit, soit réfugiés un peu partout dans le
monde, soit encore ils sont traumatisés,
désespérés, etc… Et voilà que
l’Unesco ajoute de l’huile sur le feu.
Secundo : Discuter avec la Russie de l’avenir du patrimoine
syrien, et désigner ce pays comme le seul partenaire à
posséder les clefs d’un rétablissement de notre
identité nationale, prise en otage par les différents
acteurs de cette guerre, est aberrant et scandaleux. La Russie joue un
rôle diviseur dans notre pays, pour des raisons que vous
connaissez fort bien. Paradoxalement, son action représente
l’exact opposé de celle qu’appelle de ses vœux
Madame la Directrice générale dans la phrase
qu’elle a elle-même prononcée : « le
rôle essentiel que joue le patrimoine culturel pour la
résilience, l’unité nationale et la paix ».
Quant à moi, je demande naïvement où se trouve
l’unité nationale dans un pays très gravement
divisé, politiquement et physiquement, et si la paix (lueur
d’espoir des Syriens) est vraiment susceptible d’être
atteinte dans un futur proche. En tout état de cause, la Russie,
autant que je sache, n’est pas le mandataire de notre pays, pour
que l’on négocie avec elle l’avenir de la Syrie.
L’UNESCO devrait être une institution scientifique et
morale neutre, une garantie d’intégrité pour les
Syriens, tous les Syriens, sans se mêler de leur couleur
politique ou d’autres positions partisanes. Il n’y pas lieu
ici de prendre parti, ni aux côtés des rebelles, ni avec
les rangs loyalistes (bien entendu, les islamistes sont exclus
d’emblée). Si, en ces temps critiques, on décide
à la place des Syriens, en accord avec seulement une toute
petite minorité de leurs spécialistes, cela va
créer un énorme problème dans l’avenir, au
lendemain du conflit, quand il sera enfin possible d’œuvrer
à une réconciliation nationale. Les Syriens attendent de
l’Unesco un rôle fédérateur : unifier les
Syriens à travers le patrimoine.
Bien à vous,
Ali Othman
Archéologue - Conservateur du patrimoine
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