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Une
« Fibule en or » découverte par un
prospecteur vendue sur Ebay pour 10.000 euros
"Fibule en or"... Le
titre de l’annonce portant la référence
n°261334682882
interpellait quelque peu (note 0).
Le descriptif qui s’en suivait mit davantage mal à
l’aise : "Bonjour, voila une fibule celtique en or pur
"environ 7 grammes" ; magnifique travail effectué sur
l’objet - me demander photos supplémentaires si
intéressé, bonnes enchères".
Fallait-il mettre en doute l'authenticité de cette annonce?
Le
vendeur comptabilisait déjà 18
évaluations sur son
profil et était inscrit sur Ebay depuis septembre
2009.
Adossé à ma chaise, une question viendra me
tarauder l’esprit : comment un tel objet a-t-il pu atterrir
ainsi sur Ebay ?
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Je me suis alors
rappelé avoir lu sur un forum le récit
d’une découverte comparable et qui,
déjà
à l’époque, avait fait couler beaucoup
d’encre. La question à…. 10.000 euros
était
la suivante : s’agissait-il de la même
"fibule" que
celle vendue sur Ebay ? Une rapide recherche, quelques clics
et
une confirmation : oui, c’est bien d’elle
dont on
parlait.
Dans un article paru le 19 avril 2013, le site monnaiesdetections.com
relatait une découverte effectuée par un
prospecteur et s'enthousiasmait en écrivant :
"Magnifique trouvaille
faite
à la Billebaude dans un petit bois du Gers par un
prospecteur
qui a désiré rester anonyme : un restant de bijou
antique, un pectoral peut-être, bien que la taille (55
à
60 mm dans sa plus grande longueur) le rende un peu petit pour ce type
de bijou. Le travail est d’une minutie magnifique, la base du
pectoral est un fil d’or enroulé sur
lui-même tour
après tour pour constituer la plaque"
Dans ce même article, l’auteur précisa
que le
"bijou" était vraisemblablement d’origine celtique
–
"Ve-IIIe avant notre ère" - et conseilla même
à
"l’inventeur" de "tenter de découvrir les petites
parties
manquantes", et ce, "non pas au détecteur mais
à la
batée en lavant la terre et de se rapprocher d’un
officiel
de la culture si ce dernier ne partage pas la vindicte d’une
certaine association virulente" (note 1).
En résumé donc, un prospecteur fait une
découverte
exceptionnelle qui présente un intérêt
scientifique
indéniable. Plutôt que d’en aviser les
Services
compétents, il préfère interroger un
site
dédié à la prospection et
décide, quelques
mois plus tard, de la proposer à la vente sur Ebay. Dans de
ce
cas-ci plus que dans tout autre, il s’agit d’un
véritable scandale.
Scandale car, quand bien même les circonstances de la
découverte sont sujettes à caution,
l’importance de
la découverte aurait dû faire réagir ce
prospecteur. A-t-il réellement conscience de la perte
scientifique et l’importance de cette
découverte ? En
effet, sur la base d’une déclaration de
découverte
fortuite, une fouille aurait pu être menée et
cette
dernière aurait vraisemblablement permise de mieux
comprendre,
outre le contexte, le statut social de la personne à qui
appartenait cette parure. Sur le plan
pénal, outre l’usage d’un
détecteur,
constatons l’absence de déclaration
d’une
découverte fortuite et aussi le commerce
d’un bien
archéologique issu d’une fouille clandestine.
Or, que dit la loi au sujet de la prospection ? En France, la
réglementation est particulièrement stricte. Le
Code du
Patrimoine consacre en son Article L.542-1 ce qui suit : "Nul
ne
peut utiliser du matériel permettant la détection
d'objets métalliques, à l'effet de recherches de
monuments et d'objets pouvant intéresser la
préhistoire,
l'histoire, l'art ou l'archéologie sans avoir, au
préalable, obtenu une autorisation administrative
délivrée en fonction de la qualification du
demandeur
ainsi que de la nature et des modalités de la recherche".
Cette réglementation a pour objectif de protéger
les
sites archéologiques, connus et inconnus, de toute perte
d’information relativement aux objets et à leur
contexte.
En pratique, un détecteur de métaux fonctionne
comme un
radar : après avoir balayé une zone, un signal
sonore
évoque, confirme et indique à
l’utilisateur la
présence d'un objet métallique et
l’endroit
où creuser. Certes, comme bon nombre d’entre nous
le
présume, en contexte de labours ou sur des zones ayant fait
l’objet de travaux d’aménagement
importants, les
couches archéologiques ont pu être
particulièrement
perturbées sur une plus ou moins grande profondeur. Ainsi,
la
couche touchée par le labour – appelée
"couche
végétative" – peut être haute
de près de 60 cm (comme en Wallonie picarde p.ex.). Autant
dire que, si un site s’y
trouvait,
ce dernier n’existe plus ou a été
arasé sur une hauteur à tout le moins
égale au labour. Dans d’autres cas,
l’impact
d’une prospection peut avoir des conséquences
directes et
peut conduire à une perte importante
d’informations
utiles pour
la compréhension du site (forêts, zones
protégées…).
Mais que l’on ne s’y trompe pas. Sur les terrains
préservés, le fait de creuser peut juridiquement
être assimilé à une fouille non
autorisée et
dès lors expose l’auteur de ce geste à
des
poursuites judiciaires. L’utilisation d’un
détecteur
de métaux est une activité scientifique
strictement
réglementée. Elle requiert un accord
préalable du
propriétaire des lieux qui doit impérativement
mentionner
par écrit les intentions qui sont les siennes au sujet des
objets susceptibles d'être mis au jour sur son fond. Chaque
demande doit être adressée à la
Direction
régionale des affaires culturelles concernée. Au
terme
d’une procédure - au cours de laquelle le projet
scientifique, la qualité du demandeur et
l’intérêt de la recherche sont notamment
analysées - l'autorisation est accordée ou non
et, dans
l’affirmative, elle prend la forme d'un
Arrêté
préfectoral (note 2).
Toutefois, de nombreuses personnes ne mesurent pas les
conséquences de leurs gestes. Dans certains cas, comme
souligné ci-dessous, les contextes ont
été
préservés intacts et le fait de creuser
entrainera
directement une perte d’information importante voire cruciale
pour la compréhension du site. Des forêts, des
prairies,
des zones naturelles protégées
recèlent
d’innombrables vestiges parfois vieux de plusieurs milliers
d’années. Si cette pratique
n’était pas
réglementée, le pillage deviendrait la
règle, la
fouille l’exception.
Dès lors que risque
le prospecteur/vendeur ?
S’expose-t-il
à des poursuites ? La réponse est
affirmative.
En effet, l’Article 544-4 du Code du Patrimoine
précise
que « Le fait, pour toute personne,
d'aliéner ou
d'acquérir tout objet découvert en violation {du
Code du
Patrimoine} est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de
4 500 euros. Le montant de l'amende peut être
porté au
double du prix de la vente du bien.
(…) ». En outre,
n’oublions pas que le propriétaire du terrain sur
lequel
la découverte a été faite peu
légitimement
et juridiquement la revendiquer et est dès lors susceptible
de déposer également.
Et concernant Ebay, quid ? Pourquoi autorise-t-il la vente
d’objets archéologiques aux origines
douteuses ?
Pourquoi de telles annonces ne sont-elles systématiquement
supprimées ? Impossibilité de
contrôler
l’ensemble des annonces ? Peut-être (note 3).
Toutefois, afin
de protéger une ressource culturelle limitée,
Ebay Europe
ne devrait-il pas purement et simplement interdire la vente en ligne
d’objets archéologiques dont l’origine
est
impossible à prouver ou démontrer ou interdire
les
annonces en fonction de la qualité du vendeur (particulier
p.ex.) ? Nous sommes beaucoup à penser qu’Ebay
devrait
faire preuve
de plus d’éthique et de déontologie
comme il
l’a fait en son temps avec les objets
précolombiens depuis interdits à la vente sur
Ebay
USA. Car, ne l'oublions pas des dizaines d’annonces
actuellement en ligne sur ebay.fr font explicitement
mention de l’origine de ces objets : "objet de
fouilles",
"monnaies découvertes lors d’une prospection",
"découvertes effectuées au détecteur",
etc.
Un dossier à suivre.
Pierre-Emmanuel LENFANT
Archeologia.be, 25 novembre 2013
dernière
mise à jour : 29 novembre 2013
Notes
Note 0 - L'annonce
en question a été supprimée
à la demande de l'Association HAPPAH qui m'a
précisé - suite à la parution de cet
article et par courriel - avoir fait cette demande de suppresion par
l'entremise de la Page Facebook d'Ebay France.
J'ai vérifié et
cela semble être le cas:
Eric
Champault (Ebay France, 25 novembre 2013):
"Bonjour.
Un article qui vous concerne sur une vente d'objet
archéologique issus du pillage au détecteur de
métaux effectué ce week-end sur votre site de
vente aux enchères. Objet vendu 10 000 euros tout de
même...." http://archeologia.be/actualite19.html
La
réponse donnée par Ebay (26 novembre 2013) fut la
suivante:
"Bonjour,
Je vous remercie de nous avoir fait part de cette vente. Nous avons
transmis aux équipes concernées les
détails de cette transaction. Ces derniers ont pu prendre
les actions nécessaires. N'hésitez pas
à nous signaler tout objet qui enfreindrait notre
règlement. Cordialement, Julie"
De
ce qui précède, vous l'aurez compris la copie
écran n'est dès lors pas un montage et il est
encore possible de trouver une trace de cette annonce via les
références qu'elle portait : http://www.ebay.fr/
Enfin,
et afin de faire taire une certaine rumeur, je rappelle que je ne fais
pas partie de ladite Association et que, si cet article a
été écrit, c'est en raison de la
manière dont cette "Fibule en or" a
été découverte et du parcours qui
l'attendait.
Note
1 - L'assocation évoquée
est l'Happah -
Halte Au Pillage du Patrimoine Archéologique et Historique
URL : http://www.halte-au-pillage.org/
Note 2 -
Pour la Wallonie (Belgique), une telle
possibilité devrait
être également prévue par la
réglementation
car tel n’est pas le cas actuellement. Il y a là
manifestement un frein à la recherche au regard de
nombreuses
archéologues, professionnels ou dépendant du
milieu
associatif, disposant des compétences requises.
Note
3 - « Ebay favorise la vente d’objets
archéologiques et historiques provenant du pillage
! » (Source : Happah)
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