©
Photo de Pascal Depaepe, Inrap
Monsieur DEPAEPE. Tout d'abord,
pourriez-vous nous dire quelques mots sur Helmut. Qui est-il ? Et
comment est venu l’idée de le nommer
ainsi ?
Helmut
est un mammuthus primigenius. Le
nom a été donné par
l’équipe de fouille, sans doute pour le plaisir de
la rime.
Nous
le savons, l’archéologie préventive se
conjugue en 2 phases : la fouille proprement dite et le diagnostic.
Qu'a mis en exergue le diagnostic? Certains indices laissaient-il
augurer une telle découverte? En somme, est-ce que
vous vous attendiez à cela?
Il s’agissait au départ de la fouille
d’un établissement rural antique. Lors du suivi
géologique et géomorphologique de cette fouille
(un géologue intervient systématiquement sur nos
opérations), le géologue, Patrice Wusher, a
découvert - en redressant une coupe - un des ossements de ce
mammouth. Il s’en est suivi une opération
spécialement dédiée à notre
Helmut.
Helmut
le bien-nommé est le 3ème spécimen du
genre retrouvé en France. Quel est
l'intérêt scientifique de cette
découverte au regard de ses
prédécesseurs?
Les mammouths sont
relativement bien connus. Cependant, les squelettes quasiment complets
et découverts en connexion anatomique sont rarissimes ; le
plus souvent, nous ne trouvons que des dents, voire des
défenses (éléments les plus
résistants). De plus, dans le cas de Changis-sur-Marne, nous
avons la possibilité de l’étudier in
situ avec les méthodes et techniques scientifiques
actuelles. Un second intérêt est la
présence de silex taillés qui montrent la
présence de l’homme. Il s’agit ici
d’un cas très rarement mis en évidence
(un cas similaire quoique plus important en quantité de
silex et d’ossement a été
découvert à Lynford Quarry en Angleterre).
On
parle d'Helmut au singulier. Toutefois, la fouille a mis en
évidence trois défenses de mammouths, soit deux
individus. Peut-on s’attendre à d’autres
découvertes dans le même secteur?
Cela me parait peu probable
car la carrière de Changis-sur-Marne est presque totalement
exploitée. Peut-être ces deux mammouths
étaient-ils seuls ? Mais une surprise est toujours possible,
comme l'a d'ailleurs prouvé Helmut.
Une
telle découverte requiert que soient mobilisés de
nombreux spécialistes. Du terrain au labo, qui composait
cette équipe pluridisciplinaire ?
Grégory Bayle
(Inrap) a dirigé l’opération de
terrain. Fredéric Blaser (Inrap) est en charge de la partie
archéologique, et Stéphane Péan
(Museum national d’histoire naturelle) travaille plus
spécifiquement sur l’archéozoologie
avec Grégory. Patrice Wuscher (Inrap) a assuré la
partie géologie et Pascal Raymond (Inrap) a mis en
œuvre le moulage complet.
Des agents du service
régional d’archéologie
d’Ile-de-France nous ont également
aidés. Enfin, de nombreux spécialistes sont et/ou
vont intervenir : palynologie, malacologie (abondante),
micromorphologie, datations, etc. La fouille vient de se terminer, je
compte maintenant sur environ un an d’étude.
Si
vous deviez dresser un portrait-robot d’Helmut, que
diriez-vous au sujet de son âge, sa taille, son poids, les
pathologies éventuelles dont il souffrait ? A cet
égard, en sait-on davantage sur les circonstances de sa mort
?
Il s’agit
d’un jeune adulte (entre 20 et 30 ans), devant peser selon
les moyennes connues environ 4 à 5 tonnes, pour une hauteur
au garrot de 2,7 à 3,4 m. Les circonstances du
décès sont inconnues à ce jour
(embourbés dans la vase des bords de la Marne ?), tout comme
les éventuelles pathologies.
Les
premières dates communiquées
évoquaient un âge oscillant entre 200.000 et
50.000 ans. Aujourd’hui, a-t-on une datation plus
précise ?
Mammuthus primigenius arrive
dans nos régions vers -200.000 ; c’est donc une
date plancher. Helmut présente des caractères
semblant le situer dans une phase ancienne, et la géologie
locale peut correspondre à un
événement anté-Eemien (avant 130.000).
Nous attendons les datations absolues. Mais une surprise est toujours
possible: ces indications sont donc à prendre avec des
précautions.
L’opération
de prélèvement des ossements s’est-elle
avérée facile ? De quelle manière
avez-vous procédé?
Fouille classique et moulage
intégral de la surface décapée.
Techniquement, ce ne fut pas très compliqué, mais
cela nécessite de l’expérience et de la
patience.
©
Les photos reprises ci-après sont de Denis
Gliksman, Inrap
Plus
largement, sur la base des échantillons de sols
pratiqués, en sait-on plus sur l'environnement de
l'époque?
Il est encore trop
tôt, les prélèvements doivent
être étudiés. Tout au plus savons-nous
que nous sommes dans un environnement de bord de rivière
(vase).
Un
constat surprend toutefois : comment se fait-il que les
défenses n’aient pas été
récupérées ? L’ivoire est
pourtant une matière première noble.
Neandertal n’est
pas un utilisateur aussi intéressé que Sapiens de
ces matières, et les indices d’utilisation
d’ivoire et de bois animaux par les Néandertaliens
sont rarissimes. Pour certains auteurs, il pourrait s’agir de
tabous.
Probablement
associés aux ossements, des outils en silex ont
également été retrouvés. A
quelle industrie lithique sont-ils rattachés ?
L’étude tracéologique a-t-elle permis
de déterminer leur usage ? Même si
l’étude archéozoologique est toujours
en cours, des traces de découpes voire de boucheries
ont-elles été confirmées sur certains
ossements?
Deux silex ont effectivement
été trouvés, mais ils ne
permettent pas une attribution « culturelle ». La
tracéologie n’a pas encore
été réalisée (nous venons
de terminer la fouille !). Pareil pour les éventuelles
traces de découpes. Il faut toutefois souligner que des
traces de ce type sont difficiles à mettre en
évidence sur les
éléphantidés, du fait de
l’épaisseur des couches carnées et
surtout de l’épaisseur du périoste
(membrane sur les os).
Le
public a souvent une image d’Epinal associée
à l’Homme de Neandertal : est-il un charognard
– comme d’aucuns le soutiennent – ou, au
contraire, un chasseur averti ? Sans entrer dans le débat,
n’y a-t-il pas une voie du milieu où, entre le
charognard et le chasseur averti, il y a un homme en quête de
nourriture pouvant faire preuve d'un certain pragmatisme ?
Le pragmatisme doit
prévaloir : Neandertal est un grand chasseur (voir la Grotte
de Spy où il a sans doute chassé des jeunes
mammouths), mais rien n’empêche de profiter
d’une aubaine !
A
combien estime-t-on la quantité de viande offerte par la
dépouille d’un tel animal ? En termes de ratio
(apport nutritionnel), cette même quantité
permettrait de nourrir combien de personnes pendant combien de temps ?
Plusieurs centaines de kg de
viande, sans compter les abats ! Le problème majeur est donc
la conservation (fumage, caches à viande, etc)... Les
estomacs de l’époque devaient supporter des choses
que nous n’osons même pas imaginer !
Difficile de répondre sur le nombre de personnes et la
durée de consommation ; sachons cependant que Neandertal
avait des besoins énergétiques importants :
environ 6000 Kcal/jour
Pour
en terminer, auriez-vous des ouvrages ou articles de
référence à conseiller à
nos lecteurs ?
Pascal Depaepe, "La France du
Paléolithique" aux Editions La
Découverte (22 octobre 2009) (en
savoir plus sur cet ouvrage)
+++++
La
découverte en photos!
Détail
des ossements du mammouth : les deux omoplates
Vue
aérienne du site (en direction du nord ouest)
Vue
zénithale du site en cours de fouille
Plan
sur l'un des humérus du mammouth
Vue du
fragment de crâne du mammouth
Dégagement
des ossements du mammouth
Vue
zénithale du site en cours de fouille :
dégagement du fragment de crâne
Eclat
de silex trouvé à proximité de
la molaire du mammouth.
Dégagement
des ossements de mammouth
|