L'objet archéologique a
de tout temps été traité comme
révélateur d'informations parfois
intrigantes, mais depuis longtemps scientifiques. Des
'céraunies'
(pierres de foudre) aux haches néolithiques, il a longuement
inspiré
les hommes par ses vertus d'objet singulier. Mais l'objet
archéologique ne représente plus la crainte de
nos contemporains.
Il est l'expression même d'un esprit dépassant le
cadre strict de
sa matérialité.
Pour comprendre le sens de l'objet archéologique,
interrogeons-nous sur le sens à lui donner.
Une première
définition peut être posée.
L’objet archéologique recouvre
trois ordres de fait : une genèse, un
vécu et un lieu, et ce,
dans le cadre d'une double approche (matérielle et
intellectuelle). L'objet archéologique devient
dès lors que l'on
substitue ou que l'on ajoute à sa valeur d'usage un
intérêt
scientifique (Rapport
Papinot, 1998).
Mais se doit-il
nécessairement d'être exhumé ?
L'archéologie du passé récent
pose une réflexion épistémologique
intéressante sur le devenir de
l'objet.
Saxa
Loquuntur !
les
pierres parlent!
Comment connaître
sa capacité à signifier? Pour que
l’objet archéologique devienne
objet de science, il doit cesser d’être objet de
plaisir, de
désir, de rêve, d’amour (Demoule, "Les
pierres et les mots : Freud et les archéologues").
Une
science revendiquée
L’émotion viendra plus tard, dans
l’intimité d’un musée et la
contemplation du sourire archaïque
d’un visage de pierre, sauvés par des
archéologues obstinés
auxquels le législateur donne enfin quelques moyens
d’agir (P.L.
Frier, 2004).
Un objet de médiation
La
particularité d’une exposition
archéologique est de mêler
intimement les objets et le savoir ; elle se situe ainsi
à l’articulation de
l’exposition de l’art et de
l’exposition documentaire, avec toutes les variantes
possibles de
l’une à l’autre (Davallon, 1999).
L'objet réapproprié
* *
* *
L’objet
archéologique se conjugue à plusieurs temps.
Le temps où
il est supposé : il fait l’objet d’une
enquête. On interroge.
On étudie. On le cherche. Le temps de sa naissance :
fortuite ou à
l’occasion d’une fouille. Le temps de son
étude : un chercheur
vient à son chevet et l’interroge sur son
passé. Enfin, le temps
de sa conservation : consécration pour certains,
déchéance pour
d’autres. Cette multitude d’interactions qui se
crée à partir
de l’objet ne sont pas de même nature.
L’archéologie préventive
en témoigne. Elle s’inscrit dans
l’urgence et bien souvent
l’archéologue se trouve
l’obligé du terrain n’ayant
d’autre
objectif que de transcrire en archives de fouilles les archives du
sol. Dans son activité, l’objet
archéologique est une notion
exhaustive qui dépasse le cadre strict de sa
matérialité.
Certes,
l’objet archéologique est réel, visible
ou matérialisé par la
fouille, dans des sachets (tessons, prélèvements,
etc.), au
laboratoire, mais cela fait longtemps que sa simple
matérialité ne
suffit plus : son contexte importe tout autant.
Conscience
collective d’un phénomène destructeur,
l’archéologue, homme de
science, met en œuvre des stratégies
d’observations et des
protocoles d’enregistrement cherchant à consommer,
dans une
politique du moindre mal, la césure
opérée entre l’objet et son
contexte. De son exhumation à sa conservation finale,
l’objet
subit des transformations modifiant et enrichissant peu à
peu son
identité.
Les informations ainsi recueillies sont de
différentes natures (François Djindjian).
Elles sont dites
intrinsèques, lorsqu’elles visent
l’objet lui-même. Elles sont
le fruit d’un processus relationnel entre l’objet
et la personne
qui lui donne sens : l’archéologue, le chercheur,
le restaurateur,
l’amateur. Ces différentes
personnalités tentent alors chacune de
l’interroger pour ce qui la concerne, créant ainsi
sa propre
représentation intellectuelle de l’objet, mais
idéalement dans
l’intérêt des autres : un travail
pluridisciplinaire. Il n’est
plus rare de croiser, sur un chantier de fouilles, une multitude de
spécialistes : géologues,
sédimentologues, palynologues,
malacologues, anthracologues, xylologues, etc.
Chacune de ces
personnes apporte le point de vue décisif de la discipline
archéologique. Par elle, une chaîne
spécifique se créée qui est
le résultat complexe de l’expérience,
des Ecoles, des mouvements
de pensées, conscients ou inconscients, qui font
d’elles celles
qu’elles sont.
La démarche archéologique pourrait
s’arrêter là et ne pas chercher
à préserver d’autres
données.
Pourtant, elle ne le fait pas. L’étiquette
d’antiquaire est
quelque peu désuète et il lui appartient en
propre d’interroger
le fait archéologique total.
Les informations extrinsèques
prennent en compte les différents contextes que rencontre
l’objet.
La fouille tout d’abord visitée comme un acte
authentique,
quelque peu salvateur, qui arrache de l’oubli une
mémoire un peu
lointaine. Les relations de l’objet dans l’espace
et dans sa
contemporanéité (chronologie relative) plus ou
moins distante par
rapport aux autres objets et structures (murs, sépultures,
etc.).
Vient ensuite une succession d’étapes :
l’étude, l’analyse,
la compréhension des relations entretenues (diachronique et
synchronique), la préservation, la conservation parfois son
exposition. Des prélèvements, des dates, des
noms
(l’inventaire, le conservateur, le restaurateur, le
propriétaire)
complètent son état civil. Même
l’acte de décès doit figurer
sinon l’objet ne serait pas complet. C’est ainsi
que l’objet
archéologique est devenu objet de science,
matériau
d’étude.
L’archéologue tente alors de le faire parler,
de lui faire dire ce qu’il a dire et parfois de lui faire
dire ce
qu’il veut entendre. Le document n’est pas
innocent. L’objet
archéologique s’inscrit dans un corpus
documentaire qui lui est
préexistant. Il permet à la fois
d’accroître ce dernier et de
poser de nouvelles problématiques au regard des
éléments de
connaissance apportés. Ensuite de simple document, il
deviendra
documentation. Il sera cité, dessiné,
noté, exploité. Imbriqué
dans une typologie, dans une chronologie et dans une
géographie,
l’histoire lui appartiendra car c’est lui qui
l’écrit.
Enfin,
après tant de services rendus, l’objet est
laissé pour lui-même.
La plupart n’auront d’autre vie que de croupir dans
un dépôt.
Beaucoup de demandes, peu de place : est-il muséable se
demande-t-il
en vain ? L’objet acquiert une autonomie relative. Son
passé le
suit. Mais est-il majeur ? Se pose la question délicate de
son
tuteur légal. Serait-ce l’Etat, la
collectivité, une commune, un
particulier ? Il en va d’une question de
sécurité juridique et de
reconnaissance sociale.
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A noter que cette réflexion a été
mentionnée dans l'ouvrage collectif "Methods
and Tools for
Effective Knowledge Life-Cycle-Management" sous la direction d'Alain Bernard et de Serge
Tichkiewitch aux Editions
Springer (7 avril 2008) - p.318 -
http://www.Archeologia.be - p.330.
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